« Les mots que je sais » – Leopoldo Lonati

Belet

on n’a que des idées vagues du vide à la limite on
n’a que des idées vagues on
n’a que des idées vagues du vide à la limite on
n’a que des idée vagues de la limite des
idées on n’a que des idées vagues de la limite du vide
on n’a que des idées vagues on
n’a et on n’a que
des idées vagues du vide à la limite du vide à la limite du quoi
on n’a que des idées vagues de la limite du vide à la limite
du vide à la limite des idées à la limite des
mots on n’a que des mots à la limites des
idées à la limite du ne pas
à la limite des idées

à la limite

le suintement insensible

le sujet étant un puits

Les noms sont là depuis longtemps
Nous pourchassons leurs pensées

Dans l'antichambre du cerveau

Unzubereitet,
Ja schon die unbelaubten,
Gedanken gleich…

Déjà dorées
Elles se tiennent fleurs décharnées
Pareilles aux pensées

Friedrich Hölderlin, Tinian
(traduction: Pierre Jean Jouve)

À la manière noire de la terre
Et d’un ruisseau blême et glacé
À la manière noire de la poussière
Un été s’anémiait sans son visage

L’affolement tapi dans l’ombre
Et le rasoir des mots amers
Une lame entre les valves d’une huître

On n’a que des idées vagues

Des processus de pathogénèse

Mais les mots les mots

(comme les rêves) savent de nous

Des choses que nous ignorons

de nous-mêmes

Et si nous avancions par cercles concentriques
D’abord celui qui dit non

Ils voulaient que je reste là

À me faire coudre le nez je veux

Aller aller                  n n n  nez

Suinter et sourdre

couler

Oui              éjaculer

À la limite un crachat
De glaire et de sang et de…

N’y pense même pas

Le sillon j’avais oublié
Le sillon et comment cet instrument
Une marque acérée et coupante comme
Les lettres d’un système d’écriture
En partie avait dévoré la chair

Cette envie mais cette envie de
Grimper                               le long de mon dos
Me faire une idée de ce qu’étaient
Les vertèbres                       mes vertèbres

Savoir quel goût avait           la moelle épinière

Ma moelle ou du moins         la couleur

Ou l’odeur                            l’odeur

Un œil de bœuf l’orbite aveugle                      ou
Le tissage digne et rusé d’une araignée
D’une bobine d’une turbine d’un                      bistouri électrique
Tout droit glissé dans le tourbillon
Dans le puits                                                dans le fruit

As-tu remarqué que le bracelet

De la montre de papa

est de plus en plus distendu

Un de ces jours

il la perdra

Le temps menace dit mon père

en regardant par la fenêtre.

Belet

non si hanno che vaghe idee del vuoto al limite non
si hanno che vaghe idee non
si hanno che vaghe idee del vuoto al limite non
si hanno che vaghe idee del limite delle
idee non si hanno che vaghe idee del limite del vuoto
non si hanno che vaghe idee non
si hanno e non si hanno
che vaghe idee del vuoto al limite del vuoto al limite del che
non si hanno che vaghe idee del limite del vuoto al limite
del vuoto al limite delle idee al limite delle
parole non si hanno che parole al limite delle
idee al limite del non
al limite delle idee

al limite

lo sgocciolio insensibile

il soggetto essendo un pozzo

I nomi sono lì da lungo tempo
Noi diamo la caccia ai loro pensieri

Nell'anticamera del cervello

Unzubereitet,
Ja schon die unbelaubten,
Gedanken gleich…

Impreparati,
Così senza foglie,
Come pensieri

Friedrich Hölderlin, Tinian

Alla nera maniera della terra
E di un livido torrente ghiacciato
Alla nera maniera della polvere
Affiochiva un’estate nel suo volo

Lo sconcerto accovacciato nell’ombra
E il rasoio delle parole amare
Una lama tra le valve dell’ostrica

Non si hanno che vaghe idee

Dei meccanismi patogenetici

Ma le parole le parole

(come i sogni) sanno di noi

Cose che noi stessi ignoriamo

Di noi

Se poi avanzassimo per cerchi concentrici
Prima quello che dice no

Volevano che stessi lì

A farmi cucire il naso io voglio

Andare andare                 nas nas naz naso

Scorrere e stillare

gocciolare

Si                                    eiaculare

Al limite uno sputo
Di catarro e sangue e…

Che non ti venga in mente

Il solco mi ero dimenticato
Del solco di come quello strumento
Un segno incisivo e affilato come
Lettere di un sistema di scrittura
Avesse semidivorato la carne

Quella voglia ma quella voglia di
Arrampicarmi su                        per la mia schiena
Farmi un’idea di che cosa fossero
Le vertebre                                le mie vertebre

Sapere che gusto avesse           il midollo

Il mio midollo o almeno              il colore

O l’odore                                   l’odore

Un occhio di bue un’orbita cieca                      o
La diffinta dignità di una ragna
Di un bindolo di un guindolo di un                     elettrobisturi
Difilato imboccato nel gurgite
Del gutto                                                        nel frutto

Hai visto come il cinturino

Dell’orologio di papà

diventa sempre più largo

Un giorno o l’altro

lo perde

Il tempo minaccia dice mio padre

guardando fuori.

Extrait de Le parole che so, «Les Mots que je sais»,
traduit de l’italien par Mathilde Vischer et Pierre Lepori.

Publié dans Le Courrier le 21.10.2013

Leopoldo Lonati

Poète rare, théologien de formation et enseignant, Leopoldo Lonati est l’auteur de plusieurs recueils dont le très dense Le Parole che so, dont nous publions ici un extrait inédit en français – la traduction française paraîtra fin 2013 dans la collection bilingue des Editions d’en bas, du Centre de Traduction Littéraire de Lausanne et du Service de Presse Suisse sous le titre Les Mots que je sais. En découvrir davantage

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