(Le rocher lui a cassé la poitrine, en roulant.
Sans mots sans gestes : rien qu’une bouffée grossière,
terrible. Inutile l’énergie des compagnons
qui se hâtent dans leurs bottes bitumées, leurs cris
étouffés par l’habitude. La terre et les pierres, dans le noir,
n’ont pas de règles à respecter. Pas de patron.)
*
Au fond, dans le tunnel, parmi les pierres, la caillasse et ce limon
desséché, le noir semble avaler nos visages.
C’est pour cela peut-être que nous baissons les yeux
ridicules, les ombres des corps nous font peur. Pourtant,
le bruit est sévère : nous l’entendons vibrer
avec entêtement.
*
La lumière manque et nous en souffrons. Pas tellement en bas,
dans ce goulot de terre, mais en haut, au grand air,
quand on sort du trou et que la grisaille du ciel
s’accroupit sur le profil des montagnes, que le soleil
s’assombrit dans le souvenir proclamé d’autre chose
de plus, de différent. Un espoir, oui : l’espoir
refusé, repoussé jour après jour.
*
Elle n’est pas loin, l’Italie, mais nous sommes cloués
dans ces remous de gravats, collés à ces outils
sombres et usés, recouverts de sang et de détritus, les mains
et les bras crottés de petites blessures,
de la poussière partout. Sommes-nous un peu plus suisses,
maintenant, au fond de ce tunnel ?
*
Dedans, la chaleur est presque intenable,
mais on avance : la sueur devient ta deuxième peau,
gluante et glissante et pourtant toujours tienne.
Au contraire, dehors, Göschenen est froide, glacée et repoussante,
comme si on était le germe de la peste.
*
(Ils viennent, lentement. Sur le brancard le mort se confond
avec les vides du drap, les plis brusques.
Et nous nous regardons, distraits, désabusés,
effleurés à la surface par les cimes indifférentes,
par les chaînes de montagnes majestueuses : ces rochers improbables
que peut-être nous commençons à connaître.)
Nous sommes différents, mais le sang de nos pères
est rouge. Nous l’avons tant de fois remarqué :
il coule lentement rapidement, puis s’assèche
et se décroche des habits ou des coins
de la bouche. Et parfois on s’évanouit,
on tombe.
*
Nous sommes nombreux, mais bientôt nous allons
nous égarer, ils nous prendront sans demander, un par un,
comme avant. Ça sera pour notre bien,
pour nous aider à avoir une vie, une famille,
l’éducation. On ne peut pas traîner pour toujours,
ils vont nous dire.
*
Nous sommes sur les routes, mais pas en fuite.
Nous courons d’un lieu à l’autre pour bouger,
car nous y croyons : à l’élan.
Nous traversons les lieux de ceux qui ont choisi
autrement.
*
Nous sommes sauvages, disent-ils, comme si c’était
un problème. Mais nous venons de loin, nous,
d’une autre Suisse ; son nom est forêt,
mousse, écorce ; son nom est plaine
et autoroute ; son nom est lac, cailloux, montagne,
ciel. On peut la regarder quand elle passe
à toute allure, quand elle s’arrête, et alors on peut
la toucher des mains.
*
Nous sommes heureux dans notre convoi,
entre visages connus. Mais peu nombreux
et personne ne nous croit : nos yeux
parlent des langues étrangères, ils ne savent pas
justifier le voyage et l’horizon.
Ou alors ils ne veulent pas, pour éviter
de s’égarer.
Nous sommes sans défense face aux bâtons
dressés comme des fourches ; je me souviens
de ceux qui disaient que l’enfer peut être vu,
il n’est pas que peur ; il nous enserre
et serre son croc.
Ainsi, comme pour d’autres avant nous, les ombres noires
sont venues. Elles n’ont pas dit grand-chose,
avec leurs dents si blanches ; elles ont retroussé
leurs manches ; elles ont indiqué
de leurs doigts boudinés une camionnette, à la lisière
du champ. Les mères forcées à genoux
sur la route, entre les fleurs de leurs jupes :
c’est là que nous les avons laissées. Ils nous ont pris
et amenés loin, dans des maisons blanchies,
pour qu’on arrête d’être faux.
Ils nous ont mis des sous dans les mains
puis nous ont ensevelis avec eux.
(La roccia gli ha spaccato il petto, rotolando.
Né parole, né gesti: solo uno sbuffo secco,
terribile. Inutile l’affanno dei compagni,
accorsi con scarponi unti, le grida attenuate
dalla routine. La terra e le pietre, nel buio,
non hanno regole da rispettare. Nessun padrone.)
*
Qui sotto, tra le rocce, i sassi e questo fango rappreso,
l’oscurità sembra assorbire le nostre facce.
Per questo, forse, non guardiamo: gli occhi bassi,
ridicoli, paurosi delle ombre dei corpi. Eppure
il rumore è severo: lo sentiamo vibrare
con costanza.
*
Manca la luce e ne soffriamo. Non tanto sotto,
in questo esofago di terra, ma sopra, all’aria,
quando si esce dal buco e il grigiore del cielo
si accascia sul profilo delle montagne, il sole
si rabbuia nel ricordo ostentato di qualcosa di più,
qualcosa di diverso. Una speranza, sì: la speranza
rifiutata, respinta giorno dopo giorno.
*
Non è lontana, l’Italia, ma noi siamo bloccati
in questi gorghi di pietraie, incollati a questi attrezzi
logori e scuri, sporchi di detriti e di sangue, le mani
e le braccia incrostate da piccole ferite,
polvere ovunque. Siamo forse più svizzeri, adesso,
in questa nostra galleria.
*
All’interno il calore è quasi insopportabile,
però si avanza: il sudore diventa una seconda pelle,
viscida e scivolosa ma pur sempre tua. Fuori, invece,
Göschenen è fredda, è gelata, e ci respinge
come un germe pestifero.
*
(Vengono lenti. Sulla barella il morto si confonde
con i vuoti dello straccio, le pieghe improvvise.
Ci guardiamo distratti e ingenerosi,
sfiorati in superficie dalle cime indifferenti,
dalle gravi catene montagnose: quelle rocce impossibili
che forse già sappiamo e conosciamo.)
Siamo diversi, ma il sangue dei nostri padri
è rosso. L'abbiamo visto tante volte:
scorre lento e veloce, poi si secca
e si attacca ai vestiti oppure ai bordi
della bocca. E certe volte si sviene
e si cade.
*
Siamo tanti, ma presto ci perderemo.
Ci prenderanno senza chiedere, uno a uno,
come hanno già fatto. Lo faranno per noi,
per aiutarci ad avere una vita, una famiglia,
un'istruzione. Non si può vagare per sempre,
spiegheranno.
*
Siamo in viaggio, ma non in fuga. Corriamo
da un posto all'altro per il movimento,
perché in questo crediamo: nello slancio.
Attraversiamo i luoghi di chi ha scelto
altrimenti.
*
Siamo selvaggi, dicono, come se fosse
un problema. Ma noi veniamo da lontano,
da un'altra Svizzera: si chiama bosco,
muschio e corteccia; si chiama pianura
e autostrada; si chiama sassi, lago, montagna,
cielo. Si può guardare mentre passa veloce
o quando è ferma, e allora si può toccare
con le mani.
*
Siamo felici nella nostra carovana, tra i volti
che conosciamo. Ma siamo troppo pochi
e nessuno ci crede: i nostri occhi
parlano lingue straniere, non sanno
giustificare il viaggio e l'orizzonte.
O non vogliono farlo, per evitare
di smarrirsi.
Siamo indifesi davanti ai bastoni
che sembrano forconi; e mi ricordo
di chi diceva che l'inferno si può vedere,
non è solo paura: già ci stringe
e stringe nella sua tenaglia.
Così, come per altri, ombre nere
sono venute. Hanno detto poche parole
con grandi denti bianchi; si sono rimboccati
le maniche delle camicie; hanno indicato
con grasse dita un furgone, al margine
del campo. Le madri obbligate in ginocchio
sulla strada, tra i fiori delle gonne:
è lì che le abbiamo lasciate. Ci hanno presi
e portati via, dentro case imbiancate,
dove smettere di essere sbagliati.
Ci hanno dato in mano dei soldi
e ci hanno interrati con loro.
Publié dans Le Courrier le 3.12.2012.